Reflexio 2023-2024

Toute propagation du son s’accompagne d’une réflexion acoustique, dès lors que l’onde sonore rencontre une surface qui en partie l’absorbe et en partie la réfléchit. Dérivant de ce principe, le cycle Reflexio propose une série de conférences où les paroles d’artistes, de musicien·ne·s et de chercheur·euse·s s’offrent à la réflexion partagée, dans des moments d’échange où les énoncés de chacun·e deviennent autant d’échos d’échos.

Des relations entre son et espace à l’écoute profonde, en passant par les liens entre expérimentation sonore et musiques traditionnelles, la scène industrielle, l’économie des musiques expérimentales et la perception des seuils, ces conférences abordent quelques-unes des préoccupations qui animent, aujourd’hui, les pratiques et la recherche dans les arts sonores et les sound studies.

Programme 2024/2024:

23.10 : Hauke Harder, « Guerre acoustique des musiques industrielles »
07.11 : Nicolas Ballet, « Guerre acoustique des musiques industrielles »
12.12 : Yann Gourdon, « Les lieux de l’écoute »
22.02 : Maud Jacquin, « Pratiquer le Deep Listening après Pauline Oliveros »
05.03 : Dafne Vicente-Sandoval, « Habiter le seuil : réflexions sur l’espace sonore négatif »
09.04 : Gérôme Guibert & invité·e·s, « Transgression esthétique, transgression économique. La programmation des musiques expérimentales nécessite-t-elle une position réflexive vis-à-vis des questions économiques ? »

En partenariat avec La Muse En Circuit – CNCM (Alfortville), L’Université Paris 8 (Saint-Denis) et π-node.

ARCHIVES

6. Gérôme Guibert & invité·e·s, « Transgression esthétique, transgression économique. La programmation des musiques expérimentales nécessite-t-elle une position réflexive vis-à-vis des questions économiques ? »

19h en direct des studios de La Muse en Circuit

Table ronde. Gérôme Guibert en discussion avec :

En écoutant la position de divers acteurices impliqué·es dans le domaine de la musique live et donnant à voir des musiques marginales par l'organisation de concerts / spectacles / performances (noise, expérimentations, musiques improvisées, musiques indépendantes), nous chercherons à comprendre si les projets artistiques et culturels sont, d'une manière ou d'une autre, liés à des positionnements ou des dispositifs spécifiques concernant les questions économiques.
La programmation des musiques expérimentales nécessite-t-elle une position réflexive vis-à-vis des questions économiques ? Qu’est-ce que programmer des musiques expérimentales dans le contexte des politiques publiques actuelles et d'un néolibéralisme hégémonique ? L’expérimentation sonore implique-t-elle l’expérimentation économique ?

Gérôme Guibert est professeur des universités en sociologie à l’université Sorbonne Nouvelle, directeur de l’institut de la communication et des médias et directeur du master Médias, Genre et cultural studies. Il est aussi chercheur à l’IRMECCEN et au Labex ICCA. Il a notamment publié Penser les musiques populaires (2022, avec Guillaume Heuguet) aux Editions de la Philharmonie, Made In France. Studies in Popular Music (2018, avec Catherine Rudent) chez Routledge, Média, culture et numérique (2016, avec Franck Rebillard et Fabrice Rochelandet) chez Armand Colin et est le cofondateur de la revue de recherche Volume! (disponible sur les portails Cairn et OpenEdition et distribuée en librairie par les Presses du Réel).

Erratum : Gérôme Guibert tient à préciser que l'essai sur le don de Marcel Mauss a paru en 1925.

5. DAFNE VICENTE-SANDOVAL « Habiter le seuil : réflexions sur l’espace sonore négatif »

19h aux Instants Chavirés

L’émergence d’un son est habituellement appréhendée comme une transition fugace entre silence et son. Mais on peut aussi chercher à entrer dans l’ambiguïté perceptive que cet intervalle recèle en installant son écoute dans ce fragile entre-deux. Une sensibilité différente peut alors se construire dans les variations subjectives de ce vide apparent qui ouvre paradoxalement à une potentialité multiple. En partant de sa pratique instrumentale de bassoniste, qui s’est attachée notamment à rechercher le seuil de mise en vibration du roseau, cette présentation de Dafne Vicente-Sandoval s’intéressera également à d’autres zones de délimitation moins littérales (acoustique/amplifié ; auditeur·rice/musicien·ne ; compositeur·rice/interprète). Cette conférence s’appuiera sur les diverses facettes de son travail de musicienne, mettant ainsi en miroir son expérience d’interprète de la musique de Jakob Ullmann, d’Éliane Radigue et d’Alvin Lucier, et sa propre pratique musicale, notamment du feedback.

Dafne Vicente-Sandoval est une bassoniste qui explore le son à travers l’interprétation de pièces de musique contemporaine et les performances électro-acoustiques. Son approche musicale s’attache à rendre audible la complexité des propriétés acoustiques du basson, avec un intérêt particulier porté à l’instabilité de la réponse instrumentale. Cette recherche s’est nourrie de ses collaborations à long terme avec des compositeur·rice·s tel·le·s qu’Éliane Radigue, Jakob Ullmann, Alvin Lucier, Peter Ablinger et Phill Niblock, aboutissant à la création d’un corpus singulier de pièces pour basson seul. En miroir de ce travail, Dafne a développé ces dernières années une pratique autour de la versatilité du feedback. Sa discographie récente comprend notamment Müntzers stern/Solo II, deux compositions de Jakob Ullmann sorties sur le label Edition RZ, NuDaf de Phill Niblock (XI Records) et Minos Circuit (Portraits GRM).

4. MAUD JACQUIN « Pratiquer le Deep Listening après Pauline Oliveros »

18h30 à l’Université Paris 8

Cette conférence portera sur un projet de recherche et d’exposition en trois volets — « Dissolving your ear plugs » au Musée d’art de Joliette au Québec (juin-septembre 2023) ; Un-Tuning Together. Pratiquer l’écoute avec Pauline Oliveros à Bétonsalon (septembre-décembre 2023) et « Earth Ears ». Écouter la terre avec Pauline Oliveros à l’Aperto, Fondation Pernod Ricard (novembre 2023-février 2024) — qui prend la pratique de la compositrice états-unienne Pauline Oliveros comme un point de départ pour explorer l’intersection entre sensibilité et politique à travers différentes perspectives. À travers ce projet, il s’agit non seulement d’étudier, d’éprouver et de faire connaître l’œuvre d’Oliveros mais de la considérer comme une sorte de catalyseur pour penser collectivement, avec d’autres artistes, des chercheurs, des publics participants, la manière dont la pratique de l’écoute peut redistribuer les rapports de pouvoir, laisser place au changement et à la différence et augmenter nos capacités à nous relier à nous-mêmes, aux autres et à l’environnement. Prévue à la fin des trois expositions, cette présentation sera l’occasion de revenir sur les enjeux et les questionnements soulevés dans chacun des contextes et d’éventuellement tirer des enseignements pratiques et théoriques de ces expériences partagées.

Maud Jacquin est historienne de l’art, commissaire d’exposition et co-directrice de Art by Translation (ESAD TALM, ENSAPC). Elle a été commissaire de plusieurs expositions, cycles de projections et colloques sur les œuvres de Pauline Oliveros, Alison Knowles et Klonaris/Thomadaki et d’expositions collectives aux Laboratoires d’Aubervilliers, Ygrec-ENSAPC, CAC Torres Vedras, Palais national de Belém (Lisbonne), aux Beaux-arts de Paris, TALM-Angers, GamMAH (Genève), Galerie Art&Essai (Rennes), ou encore MAK Center for Art and Architecture et FLAX@Tinflats (Los Angeles). Sa thèse portait sur les politiques du récit dans le cinéma expérimental et la vidéo féministe. Elle a donné lieu à plusieurs publications et projets dont « From Reel to Real : Women, Feminism and the London Film-makers’ Co-operative », un programme d’une cinquantaine de films et de performances d’abord présenté à la Tate Modern et Tate Britain (Londres) puis à Anthology Film Archives (New York) et au Glasgow Film Theatre.

3. YANN GOURDON : « LES LIEUX DE L'ÉCOUTE »

12/12, 19h30, La Muse en Circuit

« Musique traditionnelle, musique expérimentale, ce ne sont pour moi que des étiquettes qu’on utilise pour communiquer, mais dans le fond les frontières entre ces différentes catégories sont beaucoup plus poreuses. Je n'envisage pas la tradition comme quelque chose de linéaire et d’unidirectionnelle, je la comprends plutôt comme une arborescence, un mouvement rhizomique. John Cage définissait la musique expérimentale comme une action, un processus dont l’issue est inconnue et où l’attention est déplacée vers l’audition et l’observation de plusieurs choses à la fois, y compris celles environnementales. Je me plais à interroger la tradition sous l’angle de cette définition, l’appréhender comme une expérience propre à chacun et évoluant dans un environnement culturel polymorphe. […]
Je considère la forme musicale comme une parenthèse temporelle où le temps n’agit pas comme un réceptacle pour le son mais plutôt comme un espace mouvant, un intervalle que le son vient distendre. Il s’agit de faire vaciller la perception, dans un mouvement ténu vers l’inframince. C’est dans les intervalles imperceptibles, tant harmoniques que temporels, dans les zones de flou entre deux phénomènes intriqués, qu’a lieu le lâcher-prise, le détachement de soi, pouvant mener jusqu’à l’ivresse. » Extraits de l’entretien avec Michel Henrizti paru dans « Revue & corrigée » n°127 (mars 2021).

En tant que musicien et compositeur, Yann Gourdon envisage les champs vibratoires et la perception sonore comme un médium. Son travail privilégie l'observation de phénomènes acoustiques en relation dynamique avec l'environnement – architecture/paysage. Conjointement il pratique la musique traditionnelle d'Auvergne à la vielle à roue. Il aborde cette pratique par l'écoute de collectages et mène un travail de recherche sur ce répertoire au sein du collectif La Nòvia. Il est également membre du groupe France (vielle/basse/batterie) et joue en duo avec le guitariste portugais Filipe Felizardo (ffyg). À travers les différents aspects de son travail, il ne traite que des qualités du son.

2. NICOLAS BALLET, « Guerre acoustique des musiques industrielles »

7/11, 19h aux Instants Chavirés

Le courant des musiques industrielles, apparu au milieu des années 1970, loin de s’en tenir à un phénomène d’expérimentation sonore, a produit en quelques années une culture visuelle globale croisant de nombreuses pratiques artistiques (collage, mail art, installation, film, performance, son, vidéo), dans un dialogue étroit avec l’héritage de la modernité et sous l’emprise croissante des technologies. Ce phéno­mène britannique amorce un mouvement qui connaît un grand développement en Europe, aux États-Unis et au Japon durant les années 1980. Élaboration de synthétiseurs, manipulation et transformation de sons enregistrés issus de bandes audio, recyclées ou conçues par les artistes, les expérimentations sonores déployées par les groupes industriels viennent enrichir un éventail de productions visuelles radicales, prenant leurs sources dans les utopies modernistes de la première partie du XXe siècle. Cette conférence présentera la façon dont certains groupes industriels se sont emparés des controverses autour du contrôle des esprits par le son, pour envisager l’expérimentation sonore comme un outil performatif d’une révolution électronique agissant sur le corps des affilié·e·s.

Docteur en histoire de l’art et attaché de conservation au Centre Pompidou, Nicolas Ballet consacre ses recherches aux cultures visuelles alternatives, à l’art expérimental, aux sound studies et aux avant-gardes artistiques. Il enseigne l’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et a écrit de nombreux textes explorant les apports visuels et sonores des contre-cultures et des pratiques artistiques expérimentales. Il est l’auteur de deux livres sur Genesis P-Orridge et a notamment publié dans Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Octopus Notes, Marges, Optical Sound, dans les Cahiers du CAP et Histo.art aux Éditions de la Sorbonne, ainsi que dans des ouvrages consacrés aux œuvres de Nigel Ayers et de Zoe Dewitt. En 2023, il a été le commissaire de l’exposition « Who You Staring At? Culture visuelle de la scène no wave des années 1970 et 1980 » au Centre Pompidou. Son livre Shock Factory. Culture visuelle des musiques industrielles (1969-1995) vient de paraître aux Presses du réel.

1. Hauke Harden, « Christmas Dyning »

23/10, 18h30 à l’Université Paris 8

L’intérêt d’Alvin Lucier pour la nature du son est apparu dans les années 1960, date à partir de laquelle il a exploré la physicalité du son, c’est-à-dire les phénomènes acoustiques sous différents aspects. La relation entre le son et l’espace est l’un des principaux centres d’intérêt de Lucier. Cette relation, très fragile, est à l’origine de comportements inattendus et de la poésie de ses œuvres. Bird and Person Dyning en est un exemple intéressant et l’une des pièces que Lucier a interprétées tout au long de sa carrière.

Hauke Harder est né à Heide (Holstein) en Allemagne en 1963. Il a étudié la physique à l’université de Kiel et pris des leçons particulières avec Wolfgang von Schweinitz en 1991-1992. L’essentiel de son travail est dévoué à l’exploration des intervalles dans l’intonation juste. Il a organisé de nombreux concerts et expositions, notamment la série « Gesellschaft für akustische Lebenshilfe » qu’il a cofondé et dirigé de 1989 à 1999. Il a été l’assistant d’Alvin Lucier à partir de 1995 et a réalisé des installations et des performances de certaines de ses œuvres majeures comme Music for Solo Performer et Music on a Long Thin Wire. En collaboration avec sa compagne Viola Rusche, il a réalisé des films portraits de compositeur·rice·s, parmi lesquels No Ideas but in Things sur Lucier.