Toute propagation du son s’accompagne d’une réflexion acoustique, dès lors que l’onde sonore rencontre une surface qui en partie l’absorbe et en partie la réfléchit. Dérivant de ce principe, le cycle Reflexio propose une série de conférences où les paroles d’artistes, de musiciens et de chercheurs s’offrent à la réflexion partagée, dans des moments d’échange où les énoncés de chacun et chacune deviennent autant d’échos d’échos. Du chant artificiel des canaris à la politique de l’écho, en passant par les voix multiples, humaines et non-humaines, qui habitent un lieu, l’acouphène et les normes de l’écoute musicale, ou les utopies perdues, ces conférences abordent quelques-unes des préoccupations qui animent, aujourd’hui, les pratiques et la recherche dans les arts sonores et les sound studies.
Cycle de conférences arts sonores et sound studies, organisé par l'université Paris 8 et les Instants Chavirés, en partenariat avec La Muse en Circuit et TT-Node ; dirigé par Matthieu Saladin.
15/11 : Marie Lechner, « Les oiseaux comme « media environnemental » : une médiarchéologie du canari »
06.12 : Susana Jimenez-Carmona, « Ici, les voix sont nombreuses »
07.12 : David Toop, « L’écoute, une pratique complexe »
31.01 : Antoine Chessex, « Politiques de l’écoute : l’écho comme pratique sonore subversive »
28.03 : Marina Rosenfeld, « Nullité, flou et trace : la musique en dehors de la performance »
18.04 : Marie Thompson, « Les acouphènes, l’écoute musicale et le travail dans la musique »
Cet exposé examine l’intersection complexe des acouphènes, de l’écoute musicale et du travail dans la musique. En commençant par l’installation sonore Party/After Party (2020) de Carl Craig, Marie Thompson identifie une tension apparente entre les tentatives récentes de reconnaître la « diversité auditive » et les handicaps causés par l’écoute musicale en tant que travail. L’acouphène nous oblige à aborder cette tension : il révèle la capacité d’invalidité inhérente au travail musical, tout en soulignant la nécessité de repenser l’auditeur « normé » de la musique.
Marie Thompson est maîtresse de conférences en musique populaire à l’Open University, au Royaume-Uni. Elle est l’auteure de Beyond Unwanted Sound : Noise, Affect and Aesthetic Moralism (Bloomsbury, 2017). Elle est responsable du projet de l’Arts and Humanities Research Council, « Tinnitus, Auditory Knowledge and the Arts ».
À la suite des grèves contre la réforme des retraites, la conférence de Marina Rosenfeld s'est transformée en performance dans les cortèges, archives sonores et visuelles à venir.
Partant du constat que le son n’est pas neutre mais existe toujours en relation avec des écoutes situées, construites ou disciplinées, la conférence tente de présenter une série d’arguments autour de la figure d’écho pensée comme une pratique sonore produisant de l’altérité et de la différence. Condamnée à la répétition incomplète des paroles des autres, la figure mythologique d’Écho offre dans le moment de la répétition une potentialité performative et métaphorique prenant source dans le son et l’écoute, ce qui en fait une figure intéressante pour le contexte des arts sonores. En effet, pour Écho, la résonance d’une autre voix n’est jamais tout à fait la même, ce qui permet la production de différences dans la répétition : un déplacement possible, une contre-résonance, une perturbation de la source d’origine du son et de sa signification peuvent alors se produire. La conférence tentera de présenter le concept d’écho comme pratique d’écoute subversive en oscillant entre des positions discursives issues des « sound studies » et des questions concrètes soulevées par les musiques expérimentales et l’art sonore d’aujourd’hui. L’hypothèse de l’écho comme une invitation à écouter autrement implique de tester le potentiel critique de ce concept en explorant le son et l’écoute dans leurs dimensions politiques et sociales.
Antoine Chessex est un artiste et chercheur suisse. Ses travaux explorent différentes formes de fictions sonores brouillant les frontières entre le bruit, les politiques du son et les recherches artistiques. Dans le champ des sound studies, ses recherches portent sur les relations possibles entre les dimensions socioculturelles du son et de l’écoute et les pratiques artistiques transversales. Il est l’éditeur de la revue Multiple.
http://www.soundimplant.com/achessex
Discussion publique avec l’auteur notamment de Ocean of Sound : Ambient sound and radical listening in the age of communication (1995), Haunted Weather : Music, Silence and Memory (2004), Into the Maelstrom : Music, Improvisation and the Dream of Freedom, before 1970 (2016), Rap Attack : African Jive to New York Hip-Hop (1984).
_Depuis 1970, David Toop développe une pratique qui dépasse les frontières du son, de l’écoute, de la musique et des matériaux. Cette pratique englobe la performance musicale improvisée, l’écriture, l’électronique, l’enregistrement de terrain, le commissariat d’exposition, les installations d’art sonore et l’opéra. Il a publié huit livres très remarqués, dont Rap Attack (1984), Ocean of Sound (1995), Sinister Resonance (2010), Into the Maelstrom (2016), Flutter Echo (2019) et Inflamed Invisible : Writing On Art and Sound 1976-2018 (2019). Brièvement membre du projet pop The Flying Lizards de David Cunningham en 1979, il a publié quatorze albums en solo, de New and Rediscovered Musical Instruments sur le label Obscure de Brian Eno (1975) et Sound Body sur le label Samadhisound de David Sylvian (2006) à Entities Inertias Faint Beings (2016) et Apparition Paintings (2021). Ses enregistrements de 1978 en Amazonie sur le chamanisme et les rituels Yanomami ont été publiés sur Sub Rosa sous le titre Lost Shadows (2016).
Ces dernières années, il a collaboré avec Rie Nakajima, Akio Suzuki, Tania Caroline Chen, John Butcher, Ken Ikeda, Elaine Mitchener, Henry Grimes, Sharon Gal, Camille Norment, Sidsel Endresen, Alasdair Roberts, Lucie Stepankova, Fred Frith, Thurston Moore, Ryuichi Sakamoto. Il a notamment été le commissaire d’exposition de Sonic Boom à la Hayward Gallery (2000) et son opéra Star-shaped Biscuit a été joué en 2012. _
https://davidtoopblog.com/
Cette conférence abordera trois travaux qui portent sur des lieux à la fois très particuliers et très génériques pour réfléchir sur la façon dont nous écoutons et nous nous rapportons aux lieux que nous habitons et à la multitude de voix humaines et non-humaines qui les composent. Ces travaux sont Una calle (Une rue, 2017), Esta no es mi casa (Cette maison n’est pas la mienne, 2021) et Lana negra (Laine noire, 2022). Le premier est un travail collaboratif de Cuidadoras de sonidos (un duo composé d’Anouk Devillé et Susana Jimenez Carmona) qui tente de souligner les liens intimes entre la Cañada Real Galiana (le plus grand campement irrégulier d’Europe, situé à la périphérie de Madrid) et la rue la plus centrale et emblématique de la ville, la Gran Vía. Esta no es mi casa est un travail réalisé en collaboration avec des membres du groupe de femmes migrantes et travailleuses domestiques Territorio Doméstico qui interroge ce qui fait d’une maison notre maison pour problématiser ce qu’on croit être le plus évident. Lana negra cherche des manières d’écouter, de prêter attention à la façon dont les non-humains avec lesquels nous cohabitons ont fait et font des territoires et des villes. Il essaie de le faire en accompagnant l’un des troupeaux de moutons qui vivent encore dans la ville de Cordoue. Ces travaux nous permettront de réfléchir sur les écoutes mutuelles, sur les complexités inépuisables des pratiques collaboratives, sur la cohabitation au-delà de l’humain, sur la politique des singularités et sur la singularité du public, sur la nécessité d’explorer d’autres manières d’habiter et d’écouter, sur la position du rôle de l’artiste et sur le sens d’envisager tout cela en faisant des arts sonores.
Susana Jiménez Carmona est artiste sonore et chercheuse. Docteure en Sciences Humaines et de la Culture, diplômée en Philosophie et musicienne, elle est professeure dans le Master en Arts Sonores de l’Université de Barcelone. Elle fait partie de Cuidadoras de sonidos et El paseo de Jane, a collaboré et collabore avec différents artistes et collectifs tels que Malú Cayetano, Silvia Zayas, Minty Donald, Nick Millar, Territorio Doméstico, Plata Lugar ou CAR Inland. Son travail a été montré dans des espaces tels que Museo Reina Sofía, Matadero Madrid, CaixaForum, CentroCentro, RNE, les festivals internationaux Creatures (Séville), Frinje (Madrid) et Tsonami (Valparaíso), etc.
Depuis que Rachel Carson a prédit un « printemps silencieux » en 1962, les écologues ont écouté les oiseaux avec attention et anxiété. Plutôt que de considérer le chant de l’oiseau comme voix d’une hypothétique « nature » et symbole d’une harmonie perdue, cette conférence se penche sur la « musique » que les oiseaux, les humains et les machines font ensemble, en prenant comme exemple le chant artificiel des canaris. À partir des recherches de Jacob Smith et de sa notion de « bird media« , développée dans Eco-sonic Media, nous retracerons l’histoire de ces oiseaux domestiques entraînés par les humains afin de procurer un divertissement audio à domicile des décennies avant l’invention puis la prolifération des technologies domestiques comme le phonographe, le gramophone et la radio.
Marie Lechner est enseignante-chercheuse à L’École supérieure d’art et de design d’Orléans, autrice et commissaire d’exposition (dernière en date, House of Mirrors : AI as Phantasm au HMKV, Dortmund, 2022).